Idir, le chanteur-monument algérien est décédé ce samedi 2 mai à Paris, suite à une longue maladie. En quarante ans de carrière, il aura été l’incontournable héros de la musique kabyle, et un apôtre de la diversité.
Pour de nombreux algériens, c’est un « vava », un père. « Ce n’est pas un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille » disait le sociologue Pierre Bourdieu.
Enfant de la Kabylie né en 1949 près de Tizi-Ouzou, il grandira bercé par les chants de son terroir. « Dès mon enfance j’ai écouté ma grand-mère et ma mère qui étaient des poétesses. (…) De la Kabylie, du Moyen-Atlas ou du Haut-Atlas, n’importe quel écolier de ces espaces était un berger potentiel » confiait-t-il à Mohammed Habib Samrakandi dans la revue Horizons Maghrébins. Il poursuivait : « Avec l’avènement de la radio – l’introduction du transistor dans le village – tu reçois de la musique de l’extérieur. Tu fais ton choix et tu fixes tes désirs. C’est ainsi que j’ai rencontré de la musique de la Bretagne et du Maroc- que ce soit les Gnawa ou les Shleuh ou la musique du Rif (…) Le groupe marocain Nass El Ghiwane avait révolutionné la chanson populaire, surtout le texte. Les collégiens que nous étions déchiffraient leurs textes pour comprendre le sens caché.»
Un fils de berger né pour rassembler
En 1973, ce géologue de formation et musicien amateur interprète « A Vava Inouva » (Ô mon père Inouva) à la radio algérienne. Presque un hasard, puisqu’il remplaçait alors la chanteuse Nouara pour laquelle il avait écrit cette chanson, une douce ballade inspirée d’un conte kabyle. Alors qu’Idir effectue son service civil, sa chanson pérégrine et son succès dépasse les frontières de son pays.
Deux ans plus tard, à la faveur de ce succès, il s’installe en France et sort son premier album qui porte le nom de sa chanson totem, celle qui le révéla : « A Vava Inouva ». En 1979, il sort « Ay Arrac Ney » (Et les jeunes). C’est en fin mélomane rattaché à ses traditions mais ouvert sur le monde qu’il se révéla au fil de sa carrière. Après 10 ans d’absence, il est de retour avec un album Les chasseurs de lumières (1993). Puis se succèdent – sans se presser – Identité (1999), Deux rives, un rêve (2002) et La France des couleurs (2007), un album qui arrive au cœur de la polémique électorale sur l’immigration. En 2013, il signe Idir puis Ici et ailleurs (2017). Son oeuvre dessine une odyssée amazigh faite de complaintes allégoriques pétries de ses diverses influences, exprimant toujours ses thèmes de prédilection : l’exil, l’identité, les traditions, la nostalgie et la résilience que l’on retrouve dans l’imagerie tamurt (la terre patrie). Ainsi « Tagrawla » (La guerre, 1976) rendait hommage à ses ainés, « ses paysans guerriers », augustes gens rattachés à leur terre, maintes fois malmenés par la guerre.
Ce rassembleur aimait convier au fil de ses chansons et albums des chanteurs d’horizons différents : Akhenaton, Tiken Jah Fakoly, Daniel, Guizmo, Tryo, Oxmo Puccino, Francis Cabrel, Patrick Bruel, Charles Aznavour et Henri Salvador. « Voilà des années que nos chemins se croisent et que nos voix se mêlent, mélangeant les cultures et les influences pour défendre la France des couleurs que tu chantais si bien » exprimait le groupe Tryo sur les réseaux sociaux suite à son décès.
Un artiste engagé
Sa musique, foncièrement engagée, fut le vecteur d’un combat identitaire et pacifique pour la reconnaissance de la culture amazigh, entamé dès les années 70. Elle transcende la Kabylie et résonne dans toutes les régions de culture berbère, du Rif marocain aux confins du Sahel. Idir, cette force tranquille, cet homme qui « élève la voix, sans hausser le ton » exprime sans équivoque ses engagements pour une Algérie plurielle et une France multiculturelle. Il a, toute sa vie, combattu ce paradoxe algérien : ce pays révolutionnaire qui a accueilli Fidel Castro, « le Che » et Arafat est le même qui n’a cessé de nier les identités séculaires de son peuple.
Son boycott de la scène algérienne institutionnelle ne prendra fin qu’en 2018, à l’occasion de la reconnaissance officielle de « Yannayer », le nouvel an amazigh. Il revenait alors jouer au pays après 38 ans d’absence. Un an plus tard, le régime de Bouteflika vacille, et la jeunesse algérienne entame sa « révolution du sourire ». De quoi le remplir de joie et d’espoirs, et assurer au mouvement son soutien.
« Je vois partir les uns après les autres les derniers piliers de notre culture et de notre patrimoine. Taos Amrouche, Slimane Azem, Cherif Kheddam, Djamel Allam, Matoub Lounès et aujourd’hui Idir », confie l’artiste Djurdjura à PAM. En plus de 40 ans ,Idir et moi avons partagé beaucoup de scènes, nous nous sommes souvent retrouvés dans les manifestations pour défendre nos valeurs. Combien de printemps berbères avons-nous fait ensemble !». Idir s’en est allé en ce printemps, tandis que le monde est confiné. Libre jusqu’au bout, comme un fils de berger.